Le jeudi 11 juillet, le sédimentologue Gueorgui Ratzov (maître de conférence à l’Université de Nice, Laboratoire GéoAzur) nous a fait l’honneur de nous présenter la paléosismologie au travers des dépôts sédimentaires au large des Antilles. Les scientifiques utilisent une approche paléosismologique car ils peuvent se baser sur des hypothèses assez simples. Par exemple, on peut supposer que la magnitude d’un séisme dépend de la quantité de déformation accumulée depuis le séisme précédent, donc de la durée. Il est à noter que ce modèle est vrai pour les séismes de magnitude intermédiaire. Pour les séismes de forte magnitude, les corrélations sont moins bonnes. En effet, les informations sur les gros séismes sont restreintes en raison de leur rareté.
La paléosismologie est donc utilisée afin d’essayer de reconstituer avec précision les évènements passés et ainsi établir des temps de récurrence (de retour) et donc des cyclicités. En mer, les scientifiques utilisent les dépôts sédimentaires dans les bassins profonds, au pied de pentes continentales, provenant de courants de turbidité (avalanches de sédiment, Figure 1 ci-contre) qui sont déclenchés, bien souvent, par des phénomènes naturels comme les séismes, les tsunamis et les cyclones. Ce « proxy » est connu depuis 1929 (séisme au large de Terre-Neuve, magnitude supérieure à 7).
Cette méthode est particulièrement adaptée pour la recherche des séismes et tsunamis passés dans les zones de subduction, qui sont les lieux principaux de grands séismes sur la planète. Par exemple, au niveau de la zone de subduction des Cascades (façade orientale de l’Amérique du Nord, Figure 2), lors des analyses des carottes sédimentaires, sept turbidites corrélées sur de grandes distances ont été identifiées, les 3 premières étaient plus fines et les 4 autre 10 fois plus épaisses. Elles sont interprétés comme étant déclenchées par de forts séismes.
L’analyse et la datation de ces turbidites a permis de proposer que les premières étaient reliées à des évènements locaux et les autres à des séismes majeurs du passé, sur les 10 ka derniers (Holocène). Ainsi, un déclenchement synchronisé de plusieurs turbidites sur une grande distance est à relier à un méga-séisme sur toute la zone (magnitudes pouvant atteindre 9 pour des zones de rupture de l’ordre de 1000 km).
Figure 2. Canyons et chenaux (bleu foncé) de la marge des Cascades (côte ouest de l’Amérique du Nord), avec la localisation des carottages entre 1999 et 2002 sur un fond bathymétrique. BC, « box core »; GC, « gravity core »; KC, « kasten core »; PC, « piston core ». Les microplaques Gorda et Juan de Fuca entrent en subduction sous la plaque Amérique du Nord.
La zone d’étude de l’arc des Antilles (Figure 3) se trouve en contexte de subduction : la plaque Amérique du Nord subducte sous la plaque Caraïbe à une vitesse de l’ordre de 2 cm par an. Cette subduction a engendré la formation d’un arc volcanique (les Antilles). Cet arc constitue une croûte épaisse et a donc un relief qui forme une pente sous-marine du côté oriental, à la limite entre les 2 plaques (Figure 3).
Figure 3. L’arc des Antilles, les apports sédimentaires et l’obliquité de la subduction.
Sur cette pente, se sont formés des canyons en aval desquels se déposent des turbidites souvent déclenchées par des évènements marquants comme les séismes. D’autre évènements, notamment climatiques, peuvent aussi être à l’origine de turbidites: dans cette zone, c’est le cas des ouragans. Deux séismes de forte magnitude ont été enregistrés en 1839 et 1843 (Figure 3). Le prisme d’accrétion lié à la subduction diminue voire disparaît vers le nord. En effet, la quantité de sédiments provenant de l’Amazonie au sud diminue en raison de deux grandes rides sous-marines (Tiburon et Barracuda) du plancher océanique, de direction WNW-ESE, ce qui bloque le flux de sédiments (Figure 3).
Pour étudier ces évènements passés, une campagne océanographique a eu lieu dans la zone en 2016 à bord du N/O « Pourquoi Pas ? » (Figure 4). Cette campagne a permis la réalisation de 45 grandes carottes (taille max : 30 m). Celles-ci ont ensuite été découpées puis analysées.
Les analyses réalisées sont le MSCL, la spectrophotométrie, l’analyse d’éléments chimiques qui permet de retracer la source du sédiment et les analyses de la taille de grain.
Pour dater les sédiments, deux techniques sont utilisées :
– la méthode de datation au radiocarbone (isotope 14C), en prélevant dans les hémipélagites au-dessus et en-dessous des turbidites des coquilles faites en carbonates que l’on peut dater jusqu’à environ 40 000 ans en arrière ;
– l’utilisation de la diversité des fossiles retrouvés dans les carottes.
Figure 4. Carottiers sur le pont du N/O « Pourquoi Pas? » lors de la campagne CASEIS (photo G. Ratzov).
Les résultats de cette étude ont révélé l’existence de 4 « mégabeds » (turbidites et homogénites) bien corrélés, disposés sur 200 km environ, d’autres sur une distance un peu plus faible ou en face des canyons de la Guadeloupe, interprétés comme résultant des séismes majeurs de l’interface de subduction (Figure 5). La récurrence entre les « mégabeds » varie entre 30 ka et 50 ka. Sur les derniers 60 ka, 3 tendances long terme ont été enregistrées, avec une « raccourcissement » progressif de la récurrence de 5-6 ka à moins de 2 ka au sein de chaque cycle. Ces retours d’événements selon plusieurs pas de temps ont déjà été retrouvés ailleurs dans le monde (Golfinger et al., 2013; Ratzov et al., 2015).
Les méga-séismes seraient donc rares mais seraient de magnitude importante, possiblement en rompant en même temps plusieurs segments de subduction. Les causes de ces irrégularités dans le cycle sismique restent encore à expliquer.
Figure 5. Vue 3D de la marge des Antilles centrales, avec morphologie, corrélation des carottes par surface et faciès associé à un des mégabeds. Lignes rouges: canyons confinés à la pente; lignes jaunes: canyons connectés; aires rouges: bassins isolés; aires jaunes: bassins connectés; lignes noires: failles normales appelées F1 à F4; ellipses hachurées: étendue des corrélations de turbidites avec séismes associés dans les cadres bleus à gauche. C.Bk.: Colombian bank; Flandre Bk.: Flandre Bank; B. Bk.: Bertrand Bank; Fa.: Falmouth Bank; BMG: Bouillante-Montserrat Graben; B.: Basin; H.G.: Half Graben. (Seibert et al., 2024)
Lucie et Mina, au nom des étudiant·es de l’Université Flottante
Références citées:
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