Ce jeudi 18 juillet, Frédérique Rolandone, chercheuse à l’ISTeP, nous a fait le plaisir de donner une conférence sur l’étude des flux de chaleur dans les Caraïbes.
Le flux de chaleur mesuré sur Terre
La Terre est plus chaude à l’intérieur qu’en surface. Cette chaleur se traduit par une énergie thermique représentée sur des cartes de flux de chaleur qui montrent l’énergie thermique dégagée par la planète Terre en Watt/m2. Il existe deux modes de transport de chaleur dans la terre, la conduction et la convection. Ici, en surface, c’est la conduction qui est le mode de transport de chaleur privilégié. Le flux thermique est déterminé par la loi de Fourier :
Le flux thermique = la conductivité thermique x le gradient thermique
La conductivité thermique est un paramètre physique qui dépend des matériaux (par exemple la conductivité de l’eau est de 0,6 alors que pour les métaux c’est environ 400). Il y a donc des grandes différences de conductivité thermique en fonction des matériaux. Les roches terrestres ont une conductivité thermique entre 2 et 5 Watt.m-1.K-1. Pour les sédiments, la conductivité thermique va dépendre de la porosité et va varier entre 0,8 et 1,3 Watt.m-1.K-1. Le gradient de température représente l’augmentation de la température en fonction de la profondeur dans la Terre. Près de la surface, comme ici, le gradient de température est de l’ordre de 50°C par km, ce qui représente 50 mmK par m. Il est donc nécessaire d’avoir des sondes très précises pour mesurer un gradient thermique sur une carotte de 7 mètres, comme c’est le cas en moyenne sur cette mission.
Cette carte représente le flux de chaleur en mmWatt/m2. La répartition d’ensemble montre que les flux de chaleur sont beaucoup plus élevés au niveau des dorsales qu’au niveau des continents. Le régime thermique de la croûte océanique est bien connu et dépend de l’âge de cette dernière, tandis que pour la croûte continentale c’est plus compliqué.
Ces cartes sont réalisées à partir de milliers de mesures ponctuelles qui sont faites à terre et en mer. Les mesures à terre peuvent être faites avec des forages profonds pouvant aller jusqu’à 10 km de profondeur. Ces forages sont peu nombreux et sont très coûteux. Il est également possible de travailler sur des forages pétroliers, qui vont généralement jusqu’à 2000 mètres de profondeur. Dans ce cas, les mesures sont réalisées à l’aide d’une sonde de précision allant jusqu’au mmK. En mer, les mesures sont plus faciles à être mise en œuvre, elles sont faites à partir d’une sonde accrochée au carottier.
Pour mieux comprendre comment sont mesurés les flux de chaleur, Natacha Kaminski, ancienne étudiante en Master 1 de Sorbonne Université, qui a fait en stage une analyse de l’état thermique et de la stabilité des hydrates de méthane en mer Noire, a réalisé une courte vidéo explicative que nous avons pu voir à bord. Vous pouvez également voir les différentes manipulations liées aux flux de chaleur à travers notre journal de bord sur ce blog.
Le flux de chaleur dans les Caraïbes
Il existe différentes raisons expliquant pourquoi c’est important d’avoir des mesures de flux de chaleur à l’échelle régionale ou à l’échelle de systèmes hydrothermaux ou de failles (crustales, de subduction), où la circulation des fluides modifie les gradients de température. On peut alors comparer ces mesures à des modèles et déterminer des régimes thermiques spécifiques.
L’une des premières raisons qui motivent les scientifiques pour réaliser ces mesures, c’est de définir l’état thermique des bassins, de la croûte et de la lithosphère et d’en déduire différentes implications géodynamiques.
Une autre raison est de repérer et caractériser la circulation hydrothermale au niveau des dorsales ou de failles actives. En effet, les failles peuvent servir de conduits pour la circulation (pénétration ou remontée) des fluides.
Il existe une base de données mondiale des flux de chaleur à partir de laquelle il est possible de connaître les variations de flux dans le monde entier, au moins à une échelle générale. Les différents points sur la carte représentent des mesures de flux de chaleur (bleu = froid, rouge = chaud) dans les Caraïbes. Néanmoins, ces cartes restent générales: elles ne remplacent pas les mesures à l’échelle locale.
Sur la plaque Caraïbe, au niveau des bassins de Yucatan, Colombie et Venezuela, il y a des flux de chaleur qui sont relativement faibles avec des valeurs autour de 50 mWatt/m². Cela correspond aux valeurs moyennes de la région.
Il y a également des anomalies de chaleur positives de l’ordre de 100 mW/m² comme aux Antilles, qui est un système d’arc volcanique et de bassins arrière-arc, ou sur la ride d’Aves plus à l’ouest. Dans notre zone d’étude de la mission HAITI-TWIST, on note des valeurs avoisinant respectivement 65 mW/m² et 177 mW/m² sur les deux grands systèmes de failles EPGFZ et SOFZ. Notamment, sur les bords du fossé de Cayman, les valeurs sont plus élevées que prévu par les modèles. On soupçonne donc que des fluides jouent un rôle sur ces valeurs de flux.
En 2012, lors de la campagne en mer menée par Sylvie Leroy, des valeurs faibles de flux thermique ont été relevés sur les bassins situés entre les 2 zones de faille. Au sud de EPGFZ et au nord de SOFZ, on a relevé des valeurs de 90 mW/m², et parfois jusqu’à 170 dans les zones de décrochement.
Il est possible également d’utiliser un « proxy » : les BSR (Bottom Simulating Reflectors), qui sont des limites de stabilité des hydrates de gaz dans les sédiments, souvent visibles sur les profils sismiques. Par dissociation des hydrates de gaz, la température augmente. Par exemple, dans le bassin de Gonave, les valeurs sont de l’ordre de 100 mW/m², les mesures sur les BSR indiquent des valeurs changeant rapidement dans l’espace, donc sur une courte longueur d’onde. En géophysique, les courtes longueurs signifient qu’il s’agit de causes superficielles, comme une circulation hydrothermale. Pour le bassin de Artibonite, on a aussi un rôle probable des hydrates de gaz pour atteindre des valeurs de 85 mW/m².
Mina & Maïwen, au nom des étudiant·es de l’Université Flottante
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