Cette séance est l’occasion de faire un pas de côté: deux doctorantes, Cloé Falc’hun et Lisa Corroti, nous présentent leurs sujets de thèse portant sur les phénomènes éruptifs, magmatiques et volcaniques dans d’autres contextes que ceux de Mayotte et du canal du Mozambique.
Cloé, notre première intervenante du jour, a fait une classe prépa BCPST à Rennes, avant d’intégrer l’ENSG, puis un master Terre et Planètes, à Nancy. Elle y est restée pour entrer en thèse. Son étude porte sur les dynamiques magma-mush pendant l’accrétion de la croûte océanique. Elle travaille sur plusieurs dorsales océaniques ayant des vitesses d’accrétion très variables. Ces dorsales sont des zones qui concentrent plus de 60% du magmatisme terrestre. Citons par exemple: la dorsale Médio-Atlantique (lente), la dorsale Est-Pacifique (rapide)a dorsale Sud-Ouest Indienne (ultra lente), ou la dorsale émergée de l’ophiolite d’Oman
L’avantage de ces systèmes en extension est qu’un forage est possible puisque les roches ont eu le temps de refroidir. Des échantillons ont été prélevés lors d’anciennes campagnes de dragages et de forages. L’idée est notamment d’accéder au rhéologies et systèmes magmatiques « actifs » pour court-circuiter les réactions se produisant pendant le refroidissement.
Les systèmes magmatiques au niveau de ces dorsales ont longtemps été décrits comme des poches contenant du magma, avec en profondeur des lentilles qui s’étalent horizontalement (sills) ou des intrusions subverticales de filons (dikes). En fait, des études récentes montrent que ces réservoirs magmatiques sont généralement constitué d’un « mush ». Un mush est un mélange à l’état presque solide, contenant une forte concentration de cristaux, entourés de liquide interstitiel dit « melt ». Dans ce système se produisent de nombreuses interactions melt/mush. La circulation du melt autour des cristaux produit un déséquilibre (flux poreux réactif). Cela provoque des réactions d’assimilation, qui modifient la chimie du melt, mais aussi du mush.
Ce modèle de mush implique des modes de transfert de chaleur différents : le mush favorise un transfert de chaleur par conduction, au contraire du melt qui favorise la convection. Cela impacte notamment la vitesse de refroidissement de l’ensemble, les modes de migration des fluides magmatiques et les processus de différenciation à l’origine de la croûte.
Cloé utilise plusieurs méthodes pour mener son étude :
Après ses deux premières années de thèse, des résultats ont été obtenus sur les phénocristaux issus de dragages (cristaux cristallisés à partir du magma). Il s’agit d’olivine de la dorsale médio-Atlantique. En regardant la présence de zonations en phosphore et en aluminium, il peut être déterminé si le signal est volcanique, avec une cristallisation rapide (Aluminium (Al) et Phosphore (P) incorporés à zonations en P et en Al) ou s’il est plutonique (signal de mush), avec une cristallisation lente (pas de zonation en Al car il diffuse plus vite pendant le temps de résidence à homogénéisation).
Les MORB (Mid-Oceanic Ridge Basalts, basaltes émis au niveau des dorsales) résultent de réactions plus ou moins importantes dans le mush hétérogène : en effet, la cristallisation fractionnée seule n’explique pas leur variabilité. La « plomberie magmatique » serait donc majoritairement composée de mush, même s’il existe des lentilles où du melt se concentre. Ces lentilles refroidissent plus vite par convection par rapport au reste.
Lisa a effectué une licence Sciences de la Terre à Sorbonne Université, avant d’entamer un master Magma & Volcans à Clermont-Ferrand. Elle y est restée pour y continuer en thèse. Elle travaille sur la caractérisation et la compréhension de la variabilité des dynamismes éruptifs lors d’une éruption.
Il existe de nombreux dynamismes d’éruption différents, observés durant les éruptions actuelles, mais aussi dans celles passées. Ces différents dynamismes s’observent alors dans les dépôts. Un volcan peut connaître plusieurs dynamismes différents au cours de sa vie, ou même d’une éruption.
Les deux grands types de dynamismes existants sont : (Figure 1)
L’étude de Lisa doit permettre de comprendre si, lors de ces différents types d’éruptions, on peut déterminer une signature chimique particulière, des différences dans la viscosité du magma ou un contexte particulier (subduction, point chaud ou rift continental). Il s’agit alors de déterminer l’origine de cette variabilité.
Elle peut s’expliquer par des mécanismes syn-éruptifs, avec des modifications qui s’opèrent dans le conduit (modification de la morphologie du conduit, variation de la viscosité du magma…) ou en profondeur (mélanges de magma). Les conditions pré-éruptives sont également étudiées.
L’étude porte sur trois volcans dont deux de la chaîne des Puys, dans le Massif Central, qui est considérée « dormante » et composée d’édifices monogéniques (une éruption par volcan). Les éruptions du Puy de la Vache et de Lassolas remontent à 1800 ans et sont polyphasées (plusieurs dynamismes éruptifs différents). Le troisième volcan, quant à lui, est la Soufrière, situé en Guadeloupe. C’est un stratovolcan polygénique dont la dernière éruption magmatique remonte à 400 ans. Sa dernière éruption phréatique a eu lieu en 1976, et il est en phase de réactivation depuis 1992. Pour ce volcan, 2 éruptions avec des dynamismes différents sont principalement étudiées : GDS6 (strombolienne) et GDS9 (plinienne, plus explosive, présentant des laves plus différenciées)
La méthodologie utilisée lors de l’étude est l’approche top-down : on fait l’analyse depuis la surface, vers les structures les plus profondes. Cela commence par la caractérisation des dépôts issus des retombées. Ensuite vient l’analyse des processus dans le conduit magmatique (vitesse de remontée des magmas par exemple), et enfin, la caractérisation des systèmes profonds à l’aide de la microsonde électronique (éléments majeurs, mineurs…).
Lisa a donc obtenu des premiers résultats pour les Puys de la Vache et Lassolas. Dans les dépôts, elle a pu observer la même chimie dans les composants « spiny » (riches en vésicules liées à la présence de gaz) et « round » (formés par fragmentation d’un magma dégazé, plus dense), ce qui prouve que ceux-ci sont formés à partir du même magma. Cependant, on distingue dans les échantillons deux faciès différents, provenant chacun soit d’un magma frais soit d’un magma cristallisé et dégazé. A partir des analyses effectuées, Lisa a pu déduire que le magma cristallisé et dégazé est formé dans le conduit volcanique à partir du magma frais.
Figure 2.
Quelques hypothèses de chronologie des différentes éruptions ont pu être proposées (Figure 3). La chaîne des Puys étant monogénique, à la fin d’une éruption, un bouchon se forme à la sortie du conduit, ce qui entraîne une surpression, provoquant une seconde éruption au niveau d’un nouvel édifice. La Vache et Lassolas incarnent parfaitement ce processus. La chaîne des Puys se serait ainsi formée jusqu’à l’épuisement du réservoir magmatique.