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Jours 10 – 11 : Tempête à bord du Marion Dufresne, on s’adapte !

Ce samedi 8 juin, pour la première fois depuis le début de la mission, le temps s’est assombri. En remontant vers le Nord, les conditions météorologiques se sont renforcées, avec plus de 30 nds de vent et une houle de 3-6 mètres (Fig. 1).

Dans ce contexte, des gestes et de nouvelles habitudes ont dû être adoptées à bord pour notre vie sur le bateau : « Une main pour vous et une main pour le bateau » n’a jamais été autant d’actualité ! Il faut s’habituer aux mouvements du navire et commencer par bien s’accrocher aux mains courantes mises à disposition un peu partout dans les coursives sinon gare à la chute ! Saviez-vous que sur le Marion Dufresne, chaque pont recense deux types d’escaliers : l’un dans le sens de la longueur du bateau et l’autre dans le sens de la largeur, afin d’adapter ses déplacements selon que le navire roule, tangue ou pilonne.

Figure 2 : l’étrave décolle ! (H. Swertvaegher)

Cette première nuit agitée nous a également montré qu’il fallait bien ranger son espace (bannette, PC science, etc.) en utilisant les tendeurs à disposition pour saisir l’ensemble des objets les empêchant d’être projetés d’un côté puis de l’autre de l’habitacle.

Figure 3.b : survol de deux fous à pâtes rouges (Q. Gaillet)
Figure 3.c : le vent s’en prend à Margaux ! (N. Brossamain)

Au-delà de ce que cela engendre sur la vie à bord, les conditions météo impactent aussi les acquisitions. Les acquisitions de sismique rapide se sont poursuivies jusqu’au dimanche malgré une nuit très agitée. Néanmoins, en contexte de forte houle et pour éviter les risques pour les opérateurs, il a été préférable de renoncer aux opérations de carottage prévues ce dimanche.

Nous avons abordé les activités réalisées pendant les quarts carottes. Mais qu’en est-il des quarts associés aux acquisitions géophysiques ? Pendant nos quarts de nuit, les scientifiques de l’équipe de géophysique, responsables de l’acquisition et du traitement des données sismiques : Yannick Thomas (04h-08h), Estelle Théreau (00h-04h) et Pauline Dupont (08h-12h) nous ont tour à tour expliqué la chaine de traitement appliquée à la sismique SISRAP pendant SEZAM.

Les grandes étapes du traitement des données de sismique multitrace rapide (SISRAP) :

Comme déjà évoqué au début des opérations, la sismique multitrace mise en œuvre sur SEZAM est un dispositif de sismique 2D comprenant une source sismique (2 canons GI) couplée avec une flûte sismique de plus de 300 m de long sur laquelle se distribuent 48 récepteurs, les traces, régulièrement espacées (distance inter-trace : 6.25 m).

Dans le cadre de la mission SEZAM le système de flûte est immergée à 6 m sous l’eau, à vitesse surface constante (9-10 nds en moyenne). Ces deux paramètres ont été établis pour pouvoir capter un signal optimal. Cet équipement est aussi mis en œuvre sur d’autres navires de la flotte océanographique française comme L’Atalante et le Pourquoi pas ?. Ce dispositif est spécifique aux missions d’exploration. La sismique multitrace SISRAP (sismique rapide) est conçue pour réaliser des acquisitions à une vitesse de 10 nœuds, contrairement à d’autres types de sismique où la vitesse est moins élevée. Cela permet d’obtenir un rapport efficace entre pénétration et résolution.

Afin d’aborder la chaîne de traitement réalisée sous le logiciel SolidQC (IFREMER), nous présentons en premier lieu le principe de la sismique rapide en plusieurs étapes :

A) Enregistrement multitrace du point de tir

Tout d’abord un tir est émis par la source (canon noté S1) à un instant T1. Le tir provoque une onde qui va se propager dans la colonne d’eau jusqu’à atteindre le sous-sol en plusieurs points (1 à 8). Puis l’onde va se réfléchir sur les différentes interfaces du sous-sol avant d’être captés par les récepteurs situés à la surface de l’eau (R1 à R8). Le signal impulsé par la source (S1) est ainsi enregistré plusieurs fois en différents points par les 48 capteurs (multitrace) situés le long de la flûte (R1 à R8).

Figure 4 : Principe de l’acquisition sismique 2D (Y. Thomas, Ifremer)

B) Avancement du dispositif du tir S1 au tir S8

Puis le navire se déplace au temps T2, la source émet un second tir qui va venir imager les mêmes points mais à une distance différente du premier tir T1 (Fig. 5). Sur la figure ci-dessous le point ① du sous-sol est ainsi enregistré par les différents couples source(S)-récepteurs(R) (dont la distance horizontale varie (offset)) dans une échelle de temps différente. Nous obtenons ainsi des traces groupées en collection de points milieu commun (CMP) (Fig. 6). Sur ce principe, la sismique multitrace permet donc de gagner en couverture (plusieurs signaux enregistrés en un même point).

Figure 5 : Avancement du dispositif du tir S1au tir S8 (Y. Thomas, Ifremer)

C) Collection point milieu commun

Jusqu’ici les traces étaient groupées en collection de points d’émission de tir. La phase du traitement dite de Binning consiste à réarranger les traces dans un ordre différent, de façon à regrouper toutes celles qui ont des points miroirs communs.

Figure 6 : Collection Point Milieu Commun (CMP)  (Y. Thomas, Ifremer)

D) La Correction Normal Move Out  (NMO)

Une trace sismique s’exprime en temps double. Celui-ci traduit le temps d’aller-retour que met l’onde depuis son émission par la source pour arriver au point de réflexion dans le sous-sol, jusqu’au point d’arrivée au récepteur.

On obtient une trace selon le rapport entre la distance source (S)-récepteur (R) (l’offset) et le temps en temps double (TWT en millisecondes). Ce rapport nous donne une “hyperbole sphérique”. Cette hyperbole est définie par le décalage des temps d’arrivés de l’onde en fonction de l’offset. 

Figure 7 : Temps d’arrivée de l’onde sur une collection point milieu commun

Pour corriger cet effet de divergence sphérique, la correction Normal Move Out a pour but de ramener les temps de trajets à des temps où l’ensemble des signaux source-récepteurs sont confondus, ou autrement dit, à section à 0 offset.

Figure 8 : Temps d’arrivée de l’onde sur une collection point milieu commun (CMP), corrigée de l’effet de divergence sphérique par opération de NMO.

E) La sommation (stacking)

Une fois la correction NMO effectuée, la phase de stacking consiste à sommer les enregistrements qui correspondent à un même point CMP. Cette opération permet d’augmenter considérablement le rapport signal / bruit,en « tuant » tout bruit parasite ou interférence.

F) La migration

A ce stade, la position réelle des réflecteurs peut être retrouvée grâce à la correction de migration. Cette correction prend en compte les vitesses de déplacement des ondes sismiques dans le sédiment. Généralement, pour retrouver la vitesse des ondes, on utilise des mesures directes dans les carottes ou des modèles de vitesse déterminés à partir de la connaissance de la géologie.

G) Correction de la géométrie

Dans le contexte actuel de mauvaises conditions météorologiques, certains traitements supplémentaires peuvent s’appliquer ou nécessitent d’être pris en considération :  

Figure 9 : Photo de la flûte en surface (T. Lê, 2024)

En effet, la turbulence de la mer liée à la houle ou au vent peut impacter le positionnement du dispositif. Les positions de la source et des récepteurs de la flute doivent être connues en permanence pour corriger de l’effet de déport des couples source-trace. Il faut donc veiller à recalculer cette géométrie en cas de besoin.

De plus, la présence de vagues en surface, modifie l’immersion du dispositif, paramètre primordial qui rentre en compte dans la qualité du signal. Afin de conserver une immersion à 6 mètres, il faut diminuer la vitesse du navire.

H) Traitement du bruit

Une flûte trop en surface et une mer agitée peut également créer des interférences (bruit) dans la trace. Une étape de traitement sera donc consacrée au “Lissage du bruit” en retraitant la trace. 

I) Première approche interprétative

Une fois le traitement terminé, les fichiers.SEGY (format numérique spécifique à la donnée sismique) sont importés dans un logiciel d’aide à l’interprétation sismique : IHS-KingdomSuite. Chaque profil est ainsi géo-référencé et permet une première visualisation de la données nouvellement acquise… Afin d’avoir un premier regard sur les données, un projet KingdomSuite nous a été spécifiquement créé nous permettant en tant que membres de l’UF de nous immerger dans l’interprétation.

Figure 10 : Capture d’écran de l’interface IHS Kingdom Suite