4-7 Mai 2022 | Au large de Durban, Afrique du Sud
Eugénie Dufour, Salomé Pellé et Luis Chomienne
Lors d’une mission scientifique, l’imprévu fait partie de la routine. Tout d’abord, le tourbillon que nous voulions échantillonner au large de Durban a été perdu, puis retrouvé après quelques heures de prospection à l’aide du MVP (Moving Vertical Profiler) qui analyse en continu les 300 premiers mètres de la colonne d’eau. Cependant, une fois le tourbillon retrouvé, l’échantillonnage intensif prévu n’a pu être réalisé : malgré les précautions prises avant le départ et durant les premières semaines sur le bateau, des cas de Covid 19 sont apparus à bord. L’annonce du capitaine (« Votre attention s’il vous plaît, votre attention s’il vous plaît ») résonne dans la salle à manger et marque le début d’une toute nouvelle aventure.
À ce moment-là, deux marins et trois membres de l’équipe scientifique avaient été testés positifs au Covid. Un dépistage complet a alors été effectué sur l’ensemble de l’équipage, l’équipe scientifique et les étudiants. Les cas se sont multipliés à bord, et après quelques discussions sur la procédure à adopter, les personnes ayant contracté le Covid ainsi que leurs colocataires, considérés comme des cas contacts, ont été isolés dans des cabines. Le port du masque pour tous a été réinstallé, le bar fermé.
Dans cette situation, le moral est impacté et les tâches s’accumulent sur les personnes encore disponibles. Néanmoins, chacun fait de son mieux pour mener à bien la mission scientifique. Les étudiants deviennent indispensables pour remplacer les postes vacants dans les équipes scientifiques. A titre d’exemple, les collectes d’eau autour de la CTD/rosette sont maintenant entièrement effectuées par les étudiants pour toute l’équipe scientifique, avec leurs superviseurs Sara et Christophe comme scribes (le chef d’orchestre autour de la CTD).
Les étudiants et les scientifiques aident également l’équipage à distribuer des repas, des boissons et à organiser la maintenance d’un coin café installé sur la zone de décollage de l’hélicoptère, communément appelée « DZ » (Drop Zone).
Cet espace est désormais réservé aux personnes confinées pour les rares sorties autorisées : 2 sorties de 30 minutes par jour, programmées sur des créneaux horaires différents du matin à la fin de l’après-midi. Ainsi, pour la répartition des tâches lors de la réunion quotidienne de l’Université flottante, en plus des rôles associés aux postes scientifiques (que l’on appelle communément à bord « PI », de l’anglais Principal Investigator), un nouveau poste a été ouvert : le « PI café ». La personne en charge de ce rôle est responsable de la mise en place et de l’approvisionnement du coin café et gâteaux installé sur la DZ. L’objectif de chacun est d’apporter un soutien moral aux personnes qui sont confinées, parfois en groupe, dans de petits espaces. D’autres créent des décorations artistiques et écrivent des messages à l’intention de l’équipage et des scientifiques confinés.
Parmi les initiatives mises en place, un » Suivi temporel du bonheur sur le bateau » est effectué quotidiennement. Le principe ? Déclarer son niveau de bonheur à différentes dates clés du bateau (embarquement, soirée karaoké, annonce du Covid, confinement strict des malades…) afin d’en suivre l’évolution individuellement et collectivement. A suivre !
Malgré l’évolution de la situation covid à bord, l’anniversaire de Lucas a été fêté, avec la double guitare de Felipe et Jordan, le violon d’Angèle et la chorale de Guillaume et Felipe, un moment de belle union qui restera dans le cœur du bateau. Mais pas de fête après vu les conditions.
Pendant ce temps, certains étudiants sont restés en observation, trop soucieux de ne pas manquer quelques mammifères marins : en effet, au large des côtes d’Afrique du Sud, les eaux sont plus riches en raison des mouvements hydrodynamiques et de nombreuses espèces ont alors été observées. Parmi elles, des dauphins de Risso, des globicéphales et un cachalot au loin. Des bancs de poissons ont également été observés surfant dans les vagues du navire, donnant lieu à de magnifiques chorégraphies d’écailles colorées dansant dans les vagues.
Mais cette richesse biologique liée à la présence des côtes s’accompagne aussi des restes anthropiques de notre développement, et les observations de macro-plastiques se multiplient…
Les conférences scientifiques se poursuivent à bord, avec une double attention portée aux gestes barrière (un siège vide est laissé entre chaque siège). Mandy Lombard a donné une première conférence sur la mise en place d’aires marines protégées, reliant de nombreux paramètres sociaux, économiques et écologiques, une conférence qui donnera lieu à une prochaine réunion.
Finalement, le tourbillon sur lequel nous avions jeté notre dévolu est sur le déclin, disloqué par le puissant courant des Aiguilles. Ce n’est pas une si mauvaise nouvelle pour nos scientifiques, ce phénomène étant également très intéressant en termes d’océanographie physique. Nous avons donc officiellement atteint la moitié des objectifs de la mission initiale, mais toujours pas de fête.
En raison du manque de personnel disponible, certaines stations de la rosette ont dû être abandonnées, et certains instruments ne peuvent être utilisés. D’autant plus que le treuil de la rosette a besoin d’être réparé, ainsi que celui du MVP. Néanmoins, l’échantillonnage de surface pendant les transits se passe bien, et le scan-fish a rejoint la liste des instruments utilisés à bord et est piloté en permanence, parfois par les étudiants. Il remplacera le MVP le temps de trouver une solution. Le scan-fish échantillonne en permanence la couche superficielle de la colonne d’eau (pas aussi profonde que le MVP) et mesure divers paramètres (température, salinité, fluorescence et aussi quelques nutriments !).
Face à la disparition de notre sujet d’étude, un troisième Leg sera mis en place sur un très beau tourbillon situé plus au sud. Nous l’atteindrons en empruntant le fameux courant des Aiguilles, qui sera notre autoroute, comme les tortues de Nemo avec le Courant Australien Oriental !
En parallèle, les résultats des expériences précédentes commencent à être dévoilés : les dériveurs, bouées géolocalisées qui dérivent avec le courant, ont montré des résultats très satisfaisants : la divergence des masses d’eau et les mouvements de rotation dans les deux tourbillons, l’anticyclonique et le cyclonique (voir Pourquoi et qu’est-ce que l’étape 1 ? pour avoir plus d’informations sur les structures étudiées pendant le Leg 1). Et les XBTs (torpilles mesurant la température et la pression) lancées par les étudiants sont étudiées par Guerric qui s’occupe du traitement des images des résultats !
Sur le plan biologique, le record de chalutage a été battu avec 1,1 kg d’organismes remontés le dernier soir (spoiler : nous en aurons plus par la suite), composés principalement d’espèces gélatineuses, de larves de crustacés, de larves de leptocéphales (anguilliformes), de krill et seulement 5g de petits poissons, dont des poissons plats. Ces données seront corrélées avec les mesures acoustiques afin d’identifier les organismes précédemment observés via leurs signaux acoustiques.