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Regard sur les impacts générés par la campagne HAITI-TWIST

Organiser une expédition scientifique et la réaliser impose non seulement des dépenses importantes, mais génère aussi une certaine quantité de GES (gaz à effet de serre) rejetés dans l’atmosphère et a des effets sur le milieu environnant. Nous tentons ici d’en donner un aperçu.
Photo de l’arrivée au port de Kingston, 21 juillet 2024

Cette campagne océanographique HAITI-TWIST a un objectif scientifique qui, à terme, pourrait être bénéfique pour la population d’Haïti et des îles alentours. Toutefois, il est légitime de se poser la question de la nécessité d’une telle campagne dans le contexte actuel du réchauffement climatique. Une mission d’une telle envergure comporte la mise en service d’un navire d’une taille et d’une puissance significative sur une longue durée, avec l’utilisation d’outils scientifiques importants et la mobilisation à l’autre bout du monde de dizaines de personnes. Alors qu’est-ce qui est fait pour limiter les émissions de CO2 et le rejet de déchets ? Qu’est-ce qui est fait pour limiter l’impact de cette campagne ?

Gestion des déchets et eaux usées

Concernant les déchets, il y en a plusieurs. Les restes alimentaires sont généralement réutilisés afin d’être minimisés. Lorsqu’il y a des déchets alimentaires, ils sont broyés et rejetés à la mer si le navire se trouve à plus de 12 miles (environ 22 km) des côtes. Sinon, ils sont conservés et jetés dans des bennes dédiées au port. Le carton et le papier sont brûlés dans l’incinérateur à bord. Le plastique est compacté puis remis au port, tout comme le métal. Les eaux usées sanitaires (toilettes, douches, machines à laver, cuisine et lavabos) sont traitées et désinfectées dans une station d’épuration, puis rejetées en mer à plus de 12 milles des côtes. Lors des escales ou en navigation côtière, les eaux usées sont stockées dans un ballast dédié jusqu’à ce que le navire atteigne une zone où le rejet est autorisé.

Consommation de gasoil pour la propulsion du navire

La partie la plus importante de l’empreinte carbone du navire est sa consommation de gasoil. Il fonctionne à partir de générateurs d’électricité (DA, ou groupes électrogènes) qui eux-mêmes consomment ce gasoil. Le navire utilise 1 à 2 DA sur les 4, et peut aller exceptionnellement jusqu’à 3. Le quatrième permet de toujours pouvoir en avoir un en maintenance. Tout le navire est électrique, de la propulsion aux cuisines. Avoir un navire entièrement électrique permet une plus grande souplesse sur les manœuvres et sur le système, mais aussi un plus grand silence, ce qui est essentiel pour les activités scientifiques comme la sismique ou la bathymétrie (tout ce qui utilise des ondes acoustiques). Avec un mode de fonctionnement variable mais moyen sur une campagne comme Haïti-TWIST, le navire consomme en mer entre 6 et 15 m3 de gasoil par jour. Avec une cale de 1100 m3, il a une autonomie d’environ 6 mois. Sans avoir les caractéristiques des générateurs diesel du navire, nous avons fait une conversion moyenne qui est : 1 m3 de diesel consommé émet environ 2,7 tCO2 (tonnes équivalent CO2). Donc la consommation du navire varie entre 16,2 et 40,5 tCO2 par jour. Sachant que nous sommes 73 à bord, cela fait entre 0,22 tCO2 et 0,55 tCO2 par jour et par personne. En moyenne, pour le Leg 2 de la campagne HAITI-TWIST qui a duré 15 jours en mer, on estime donc environ l’empreinte carbone approximative à 5,8±2,5 tCO2 par personne. Rappelons que le niveau des émissions de gaz à effet de serre que l’on estime nécessaire pour limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C d’ici la fin du siècle est de 2 tCO2 par habitant et par an.

Autres facteurs à prendre en compte dans les calculs d’impact

Toutes les opérations ne consomment pas autant. Les transits (périodes où le seul but du navire est de se rendre à un point donné) consomment le plus : le navire va vite. Dans les moments où le navire doit être en position stationnaire ou bien faire de la bathymétrie à faible allure, alors il consomme moins. Par exemple, faire de la sismique demande de l’énergie (et donc consomme du gasoil) pour que le compresseur fonctionne et que la traction des systèmes immergés soit assurée, mais le navire va plus lentement. Un compromis est à trouver à chaque fois. Le plus gros consommateur d’énergie sur le navire est la propulsion (et donc la vitesse). Il consomme autant pour aller de 0 à 10 nœuds, que pour aller de 10 à 13 nœuds. Genavir a d’ailleurs émis des directives de diminuer les vitesses des navires afin de réduire les émissions de CO2. Arrive alors la question suivante : sur une telle campagne, si le navire va moins vite, est-ce que cela va réduire les actions scientifiques possibles ? C’est le rôle du chef de mission, du commandant et de ceux qui organisent le déroulé de la mission (marins comme scientifiques) d’optimiser tous les trajets et les opérations afin d’éviter tout transit inutile et toute sur-consommation.

Ensuite, certains équipements scientifiques comme la sismique (sources et récepteurs) sont aussi énergivores (génération d’air comprimé, consommation d’électricité supplémentaire, traction importante, etc…). Enfin, la climatisation du navire (indispensable pour préserver les équipements informatiques) et les serveurs sont parmi les choses qui consomment le plus d’énergie. L’impact exact du numérique à bord n’est pas connu. C’est donc le fonctionnement du bateau qui consomme le plus d’énergie. Qu’il soit plein ou quasiment vide, cela ne change vraiment pas grand-chose. Il est donc beaucoup plus intéressant que le navire soit plein et que le moindre temps en mer soit rentabilisé. Toute la gestion du personnel et de l’équipage est aussi une question épineuse.

Enfin, l’impact carbone du trajet pour venir jusqu’au navire et repartir est aussi à prendre en compte. Par exemple, nous, étudiants de l’Université Flottante, sommes venus en avion jusqu’en Jamaïque avant d’embarquer, et nous retournerons en France par avion. En tout, cela fait un total d’environ 1 tCO2 par étudiant rien que pour aller au navire et en revenir, soit environ 20% de l’impact total estimé. Cela est applicable à tous ceux qui vont et viennent sur le navire (toute l’équipe scientifique et les marins). Un exemple d’un coût carbone élevé est : un marin qui vient à Kingston de France pour 2 semaines de mission, repart ensuite en France pour 9 jours et reprend l’avion pour Madère pour un nouvel embarquement. Le navire lui, fait Kingston – Madère en transit (le marin pourrait rester à bord).

Comment se préparer à un avenir différent pour la recherche scientifique en mer

D’ici 2030, la Flotte Océanographique Française (FOF) ambitionne de réduire ses émissions de CO2 de 40%. Cela nécessite de trouver des solutions efficaces et réalisables. Actuellement, Genavir a opté pour ajuster la vitesse des navires pendant les transits et les opérations, car la consommation de gasoil augmente de manière exponentielle avec la vitesse. D’autres solutions peuvent être envisagées prochainement. Par exemple, l’utilisation de voiles ou de mâts Fletcher, déjà testée sur d’autres navires, permettrait de tirer parti de l’énergie éolienne. Il serait également possible d’utiliser des carburants moins polluants (par exemple, propulsion au gaz naturel liquéfié ou GNL, plus efficace et moins polluant que le gasoil) ou de récupérer au maximum les énergies produites, comme la chaleur du moteur, celle de l’incinérateur de papier ou encore les gaz d’échappement. Enfin, lorsque le bateau est à quai, l’alimentation par courant de terre pourrait être envisagée, à condition que ce courant soit produit par des énergies renouvelables ou des centrales nucléaires.

La modification de la gestion des missions océanographiques pourrait également contribuer à réduire les émissions de CO2 dans l’atmosphère. Par exemple, en priorisant l’envoi de scientifiques locaux sur les missions ou en minimisant les longs déplacements des marins.

Une étude récente (figure ci-contre, extraite de la Prospective de la Flotte Océanographique en mai 2024) indique que pour les années 2021 et 2022, le N/O Pourquoi Pas ? est l’un des grands consommateurs de gasoil de la Flotte Océanographique Française (FOF), aux côtés du Marion Dufresne (attention, le graphe ci-contre ne présente que les consommations annuelles du Marion Dufresne pour les journées « FOF » seules, soit les missions « science », donc sans compter les consommations lors des jours consacrés aux TAAF pour avitaillement). En moyenne, chacun de ces navires a consommé environ 2000 tonnes de gasoil par an « pour la science », soit près de 25 % de la consommation totale de la flotte. Théoriquement, d’après ces chiffres, les 15 jours de la mission Haïti-Twist (Leg2) auraient amené à consommer environ 83 tonnes de gasoil, ce qui représente environ 1,13 tonne de gasoil par passager. Un m3 de diesel pesant 851 kg, on calcule donc une consommation théorique de 1,3 m3 par personne pour ce Leg, soit 3,5 tCO2, un chiffre assez proche de celui estimé avec la consommation du bord (ce serait la borne inférieure de l’estimation précédente faite avec les chiffres de la mission: 5,8±2,5 tCO2).

C’est notamment pour cette raison que les campagnes océanographiques sont si coûteuses. En effet, une journée sur le N/O Pourquoi Pas ? coûte environ 40 000 €, ce qui inclut à la fois les frais de fonctionnement du navire (y compris gasoil) et les coûts liés au personnel à bord.

Néanmoins, il est important de relativiser ces chiffres: pour donner un ordre de grandeur, un gros porte-conteneur peut consommer entre 200 et 300 tonnes de fuel par jour en mer, soit au bas mot 20 à 30 fois plus que le « Pourquoi Pas? »… Et il y en a des milliers qui circulent de par le monde chaque jour (environ 5000 selon le site planetoscope.com) ! Et en moyenne, un porte-conteneur émet 3 grammes de CO2 équivalent par tonne par kilomètre, contre 80 pour un camion et 437 pour un avion-cargo… A méditer.

En conclusion, bien que les campagnes océanographiques comme celle menée par le N/O Pourquoi Pas ? aient des objectifs scientifiques précieux qui pourraient bénéficier aux populations d’Haïti et des îles environnantes, il est essentiel de considérer leur impact environnemental dans le contexte actuel du réchauffement climatique. D’après nos estimations, l’ordre de grandeur des émissions de chaque participant au Leg 2 de la campagne HAITI-TWIST (15 jours) est de 5 tCO2, voyage compris. La consommation significative de gasoil par un navire comme le N/O Pourquoi Pas ?, combinée aux coûts de fonctionnement et d’acheminement, soulève des questions sur la nécessité et l’efficacité de telles missions.

Des mesures sont prises ou envisagées pour limiter les émissions de CO2, telles que la réduction de la vitesse des navires (déjà effective), l’utilisation potentielle de voiles et de mâts Fletcher, ainsi que l’adoption de carburants moins polluants et la récupération des énergies déjà produites. Cependant, la gestion des déchets et l’optimisation des trajets et des opérations sont également cruciales pour minimiser l’empreinte carbone de ces missions.

Il est donc impératif de continuer à chercher et à mettre en œuvre des solutions innovantes pour réduire l’impact environnemental des campagnes océanographiques, tout en maximisant leur efficacité scientifique et en justifiant leur coût élevé.

Pour en savoir plus:

Jean, Mina & Tifenn, au nom des étudiant.e.s de l’Université Flottante

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