Accueil · 15 juillet – SEMI-TWIST Charline Coudun: Les marges du plateau de Demerara

15 juillet – SEMI-TWIST Charline Coudun: Les marges du plateau de Demerara

Charline Coudun nous présente une partie des résultats de sa première année et demie de thèse sur le plateau de Demerara, situé au large entre le Suriname et la Guyane française. Charline vit le rêve utopique de chaque doctorant, une thèse qui se passe sans accros et qui se voit couronnée de résultats marquants. Pour l’avoir côtoyée et pour avoir suivi la présentation de son sujet, que nous tachons de vous résumer au mieux ci-dessous, nous pouvons vous assurer que cette « chance » n’en est pas. Par les preuves de son travail, de sa rigueur et de son investissement, elle a inspiré tous les étudiants et impressionné les professionnels. Lors de ses travaux, elle a déjà eu l’occasion d’embarquer sur le navire « Pourquoi Pas ? » lors de la campagne DIADEM en 2023.

Le plateau de Demerara est un haut bathymétrique situé à la transition entre continent et océan, à des profondeurs entre 1000 et 3000 mètres. Il résulte d’une histoire polyphasée comprenant deux ouvertures océaniques successives : l’ouverture de l’Atlantique Central au Jurassique et l’ouverture de l’Atlantique Equatorial au Crétacé. Ces deux ouvertures successives segmentent le plateau de Demerara en trois marges : une marge divergente jurassique à l’ouest, une marge divergente crétacée à l’est et une marge transformante au nord.

L’objectif de sa thèse est de retracer l’évolution des marges crétacées du plateau de Demerara et, à terme de pouvoir mieux contraindre l’ouverture de l’Atlantique Equatorial. Pour cela, elle s’intéresse à toutes les séries de roches anciennes (anté-discordance albienne) se déposant au niveau du plateau et affleurant à certains endroits comme par exemple au niveau de la Ride des 60°, du Plateau Bastille, de la Ride du Buteur,… Son travail s’articule autour de trois axes majeurs, une approche structurale, une approche stratigraphique et approche sédimentologique/pétrologique.


Carte des affleurements et position des marges sur le plateau de Demerara d’après Charline Coudun

En premier lieu, la compréhension structurale est très importante à la fois pour savoir où échantillonner et où dater. Pour cela Charline a notamment pratiqué l’interprétation de données sismique, « d’échographie du sol », et s’est rendue sur les affleurements lors d’une plongée dans le célèbre Nautile de l’IFREMER. Le problème de la plongée est que factuellement, malgré la proximité inégalée des affleurements, il reste difficile d’effectuer des mesures structurales précises (difficultés liées à la turbidité, à l’éclairage,…).. La difficulté résulte donc ici dans la mesure des pendages et les orientations ainsi que d’avoir assez de recul pour voir la structure dans son ensemble. Afin de palier à ces différents problèmes et dans un souci de valorisation de la grande quantité de données vidéos acquises au cours de la campagne DIADEM, Charline, en collaboration notamment avec le laboratoire EPOC (Université de Bordeaux), a pu mettre au point une technique de photogrammétrie appliquée au Nautile et qui peut permettre de construire des modèles 3D des affleurements. Le développement de la photogrammétrie sous-marine sur le Nautile réalisée au cours de ce travail permet de : (1) pallier toutes les contraintes d’observations dans les fonds marins par des modèles 3D, (2) d’effectuer des mesures structurales précises avec une résolution comparable aux études structurales à terre et (3) créer des MNT et orthomosaïques. Désormais, passer d’une vidéo du fond marin à une représentation 3D d’un affleurement peut s’appliquer non seulement au plateau de Demerara, mais également à toutes les missions ayant eu lieu ces dernières années. Cette méthode fera l’objet de sa prochaine publication. Dans les faits, cette méthode a permis, d’une part, de mieux comprendre les ensembles des coulées magmatiques associées au socle du plateau de Demerara. En effet, celui-ci se compose d’un empilement sur plus de 20km d’épaisseur de ce qui est identifié en sismique comme des SDRs et dont la mise en place est concomitante au fonctionnement d’un point chaud lors de l’ouverture de l’Atlantique Central au Jurassique. D’autre part, elle a permis de réaliser un travail stratigraphique sur les affleurements sédimentaires permettant de lever des interrogations concernant les mouvements verticaux associés aux marges du plateau de Demerara.

Dans un deuxième temps, une étude pétrologique des roches récoltées grâce aux dragues et aux plongées Nautile lors de la campagne DIADEM (2023), a été faite afin de mieux comprendre les faciès constituant les affleurements à la fois magmatiques et sédimentaires. Pour cela, un grand nombre de lames minces ont été étudiées à la fois au microscope optique et au MEB. Cela permet, en couplant ces observations aux reconstitutions 3D des affleurements, de reconstituer des logs stratigraphiques.

Enfin, un volet important de la thèse de Charline est la datation. Dater permet de discriminer temporellement la formation de deux roches différentes ou même de différentes parties d’une même roche. Par exemple, elle permet de faire la différence entre les veines et l’encaissant d’une roche. Dans sa thèse elle expérimente les datations U/Pb sur zircon et apatites, in situ au moyen du LA-ICP-MS pour les roches magmatiques, ainsi que des datations Ar/Ar sur feldspaths potassiques. Concernant les roches sédimentaires, elle a utilisé la méthode des traces de fissions sur zircons et apatites pour les échantillons détritiques ainsi que la méthode U/Pb sur calcite pour des échantillons carbonatés. Afin de compléter ces résultats, elle a aussi pu utiliser des datations stratigraphiques grâce à de la palynologie sur faciès détritiques fins et des datations par nannofossiles sur des boues carbonatées. Pour s’attarder un peu sur une des techniques, les datations ZFT et AFT sont intéressantes car elles permettent de pouvoir reconstituer des chemins temps-températures et ainsi, après reconstitution, de modéliser les mouvements verticaux des marges où différents épisodes d’apport de chaleur. En effet, cette datation repose sur l’émission de trace fission lors de la désintégration des atomes d’Uranium. La désintégration commence à la fermeture du système, c’est-à-dire au moment où la roche franchit, en refroidissant, un seuil de température, appelé température de fermeture, qui correspond au moment où la roche est officiellement « cristallisée », n’est plus en fusion, et donc est singularisée. Il arrive parfois que la roche « réouvre » son système lorsqu’elle retrouve une température supérieure à sa température de fermeture. A ce moment-là, la roche est en fusion partielle et referme ses traces, c’est une refonte. Parfois, l’ensemble des traces sont rebouchées, parfois, la roche est simplement « rajeunie » car seulement une partie des traces disparaît.

En conclusion, Charline utilise pour sa thèse une analyse intégrative multi-échelles, qui permettra in fine de reconstituer l’histoire et l’évolution sédimentaire, magmatique et tectonique des marges du Plateau de Demerara. Il est difficile pour nous de vous faire ressentir la quantité de travail fournie par Charline mais sachez qu’elle a laissé plus d’un scientifique senior impressionné. Elle a déjà, au bout de seulement un an et demi, assez de matières et de résultats concluant pour soutenir. Dans un souci de respect pour son travail nous ne pouvons présenter aucune de ses conclusions et découvertes. Cependant, nous vous invitons très sérieusement à suivre de près la sortie de ses papiers et de son manuscrit de thèse, car il fait, avant même son écriture, partie des références.

Alexandre, au nom des étudiant·es de l’Université Flottante

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