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Une histoire de Cuba à travers le regard de Yamirka Rojas-Agramonte

Isles De Cuba Et De La Jamaïque (Rigobert Bonne)

La carrière universitaire de Yamirka a débuté à Pinar del Rio, l’une des deux universités cubaines où la géologie est enseignée. Elle a obtenu son diplôme d’ingénieur en géologie, ce qui a rendu ses parents fiers. Ils ne s’attendaient pas à ce que leurs deux filles terminent leurs études à l’université. C’est une chose dont ils ne pouvaient même pas rêver pour eux-mêmes, et encore moins pour leurs enfants, avant la révolution cubaine de 1959. C’est aux Pays-Bas qu’elle poursuivra son aventure, pendant un an, en tant qu’étudiante de troisième cycle en cartographie de terrain. Cette période lui a ouvert les yeux : elle voulait continuer à étudier à l’étranger, de préférence en Europe. Elle a donc posé sa candidature à un poste de doctorant dans diverses universités du monde entier, à condition de mener à bien son propre projet de recherche dans la Sierra Maestra (à l’Est de Cuba), au lieu d’accepter des sujets déjà proposés. C’est un professeur autrichien de l’université de Salzbourg, à qui le sujet de la région était inconnu, qui s’est intéressé au projet et l’a accepté. Cependant, il était difficile de quitter Cuba à l’époque (1999). L’absence de connexion internet rendait les communications difficiles et il n’y avait aucune confidentialité quant au contenu des échanges de courriels. Malgré tout, Yamirka a trouvé une bourse de l’OeAD (Austria’s Agency for Education and Internationalisation). Elle s’est ensuite lancée dans des procédures administratives très lourdes qui nécessitaient de nombreuses autorisations et signatures pour quitter le pays. Les permis étaient toujours accordés pour la durée des bourses et il fallait revenir sous peine de perdre la possibilité de rentrer chez soi, mais ce n’était pas un problème, Yamirka est très attachée à son pays et à sa famille et donc, même si elle vit aujourd’hui en Allemagne, elle n’a jamais perdu les liens qui l’unissaient à Cuba. Comme elle le dit elle-même, Cuba est son laboratoire de travail naturel et tout ce qu’elle peut faire pour aider la communauté scientifique et le développement de son pays, elle le fera.


Photographie de l’Université de Pinar del Rio à Cuba (www.radiorebelde.cu)

En 2003, elle a obtenu son doctorat en sciences naturelles à l’université de Salzbourg sur l’évolution tectonique de la Sierra Maestra, à l’est de Cuba.

Photographie de la Sierra Maestra (Sandra WATW)

Elle s’est ensuite rendue à l’université de Mayence (Allemagne) en tant que boursière Humboldt pour poursuivre ses études postdoctorales. Elle possède désormais la double nationalité cubaine et allemande et a accepté une offre de poste de professeur titulaire à l’université de Heidelberg. Nous lui avons demandé si elle se sentait chanceuse d’avoir pu quitter Cuba pour venir en Europe. Elle a d’abord ri et nous a dit que ce n’était pas une question de chance, mais de travail acharné et de volonté. Sa réponse la décrit davantage comme une battante. Voici son message : l’objectif est d’aimer ce que l’on fait et de s’amuser en le faisant, même en nettoyant le laboratoire où l’on travaille. Peu importe que les gens ne croient pas en vous et/ou en votre projet, tant que vous y croyez. Restez concentré et essayez d’apprécier chaque étape du voyage, les choses se feront naturellement.

Elle ne s’est pas fixé d’objectif précis dans le monde universitaire (par exemple devenir professeur), si la science lui permettait d’évoluer, qu’elle le fasse, sinon elle était heureuse de mener à bien ses projets. En cours de route, certaines personnes ont tenté de la minimiser, ce qui l’a amenée à douter d’elle-même et à se demander parfois si elle faisait le bon choix (heureusement, ces pensées n’ont pas duré longtemps). Même avec un doctorat, elle avait l’impression de ne pas être prise au sérieux. Elle a donc dû prouver à maintes reprises qu’elle méritait sa place. Dans ces parcours, il n’y a pas beaucoup de place pour le doute, il faut donc suivre l’exemple de Yamirka, se faire confiance et essayer de rire même quand on pense que les choses vont mal. Aujourd’hui, elle n’éprouve aucun regret ou ressentiment à l’égard de qui que ce soit, au contraire, elle remercie ceux qui l’ont rendue plus forte.


Heidelberg University (www.heidelberg.edu)

Cuba a une lourde histoire et le besoin de se battre n’est pas nouveau.

L’histoire de Cuba commence vers 3000 av. J.-C. avec l’arrivée des aborigènes sud-américains mais cette période reste floue. Il faut attendre l’arrivée de Christophe Colomb, le 27 octobre 1492, pour que des récits écrits apparaissent.

Bien intégrée au commerce triangulaire par le biais des plantations de sucre, la plus grande île des Caraïbes a été revendiquée, proclamée et est restée espagnole jusqu’à son indépendance en 1902.


Carte des voyages de Christophe Colomb (lhistoire.fr)

Pour aborder la période précédant la révolution, Yamirka nous parle d’abord de son père. Au début, il ne voulait pas se marier. Sa pauvreté entravait ses désirs de paternité, il ne voulait pas donner naissance à une personne dont il ne pourrait pas subvenir aux besoins. À l’époque, la population n’était divisée qu’en deux groupes très distincts, les très riches et les très pauvres. Les humbles travailleurs des champs de canne à sucre se déplaçaient de ville en ville pour trouver du travail.

La révolution a été initiée le 26 juillet 1953 par Fidel Castro et ses alliés, dont le célèbre Che Guevara. Elle s’est achevée le 1er janvier 1959, lorsque le régime en place et son chef Fulgencio Batista ont été chassés du pouvoir. Le pays a pris un tournant socialiste pour devenir le Parti communiste cubain en octobre 1965. Castro a changé le visage du pays. Les Cubains l’ont vu comme un leader, ils ont ressenti un changement positif dans leur mode de vie, accompagné d’un sentiment général de réjouissance. Des réformes assez impressionnantes ont été mises en place, notamment l’accès à des soins de santé et à une éducation gratuits. Pendant 20 ans, le pays a prospéré.
Portrait d’Ernesto Che Guevara

L’île sera sous les feux de la rampe pendant la guerre froide. La crise des missiles de Cuba s’étend du 14 au 27 octobre 1962 et représente l’apogée des tensions entre les États-Unis et l’Union soviétique. À la suite de conflits géopolitiques, l’URSS a installé à Cuba des lanceurs nucléaires qui, à l’époque, étaient en mesure d’atteindre les États-Unis. Les Américains ayant des missiles en Europe et au Moyen-Orient, le monde craint le déclenchement d’une troisième guerre mondiale menant à l’autodestruction. Finalement, la crise se termine pacifiquement et aboutit au désarmement de Cuba pour l’Union soviétique, de l’Italie et de la Turquie pour les Américains, et à la promesse de ces derniers de ne jamais envahir Cuba (après une tentative en 1961).

Photographie aérienne des missiles soviétiques installés à Cuba (Wikipédia)

Puis vint la chute du mur de Berlin en 1989, qui représenta l’effondrement des régimes communistes en Europe de l’Est et plus symboliquement en Russie. Les conséquences pour Cuba sont terribles car le pays est très dépendant de cette dernière. Ses terres sont pauvres en ressources, notamment en pétrole, et tout est fourni par l’Union soviétique. Les années 1989 et 1990 sont connues à Cuba comme la période spéciale. L’effondrement du système a de fortes répercussions sur l’alimentation en particulier, tant en qualité qu’en quantité. Aller à l’université signifiait perdre du poids. C’est un coup terrible porté au moral de la population qui n’a rien vu venir. Pendant les 6 années qui ont suivi, le pays s’est reconstruit petit à petit, seul cette fois. Ils s’en sont sortis.

En 2008, l’élection d’Obama à la présidence des États-Unis a marqué un nouveau tournant. Pendant des décennies, les Américains avaient exercé un embargo sur le pays. Obama a été le premier président américain à se rendre à Cuba. Il a ensuite assoupli les lois existantes qui visaient à étouffer Cuba, autorisant même le tourisme dans ce pays. Son approche a suscité un intérêt massif pour le pays et lui a donné un second souffle. Il y avait de l’espoir dans les rues, Yamirka s’en souviendra toute sa vie. À cette époque, le tourisme américain était en plein essor et les Cubains profitaient de la prospérité économique, par conséquent, ils n’étaient pas nombreux à vouloir quitter Cuba à l’époque.

Malheureusement pour Cuba, l’élection de Trump lui a donné le pouvoir de déconstruire les efforts d’Obama. Le pays a recommencé à être asphyxié et un terrible exode des jeunes a commencé.

Yamirka a ensuite dit quelques mots sur la fierté cubaine. Comme un éternel combat entre David et Goliath, Cuba est un petit pays qui se dresse, presque insolemment, face à un géant. Ce pays est spécial, d’une manière ou d’une autre, il est fait de combattants qui supportent des contraintes continues et étouffantes. Il se tient le plus possible à l’écart de l’influence américaine et c’est une fierté, un sentiment gratifiant.

Aujourd’hui, le pays souffre de son histoire. Les installations énergétiques héritées de l’ère soviétique sont obsolètes et insuffisantes. Les coupures de courant, atteignant parfois 20 heures, sont récurrentes. Dans ces moments où la ressource fait défaut, l’énergie est redirigée vers des installations essentielles. Cela contribue probablement à l’isolement du pays et à la baisse du tourisme.

Aujourd’hui, Yamirka souhaite contribuer à l’intégration des minorités et des étudiants sous-représentés d’Amérique latine dans le monde scientifique européen. Elle accueillera dans les prochains mois une étudiante colombienne dans le cadre d’une thèse de doctorat. Elle décrit son étudiante, partie de rien, comme imprégnée d’une rage de réussir, d’un feu qui la pousse et la fait se battre. Pour Yamirka, ces étudiants sont avant tout l’avenir de leur pays.

Alex, au nom des étudiants de l’Université Flottante