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Jours 5 – 6 : Début des quarts de nuit

Dimanche 2 juin – Lundi 3 juin

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C’est la fin d’après-midi, le carottier tout juste mis à l’eau continue sa course jusqu’au fond, les opérateurs Genavir et chefs de mission sont aux aguets, la tension est palpable. Une attention toute particulière est posée sur la pénétration du carottier dans les sédiments. Des capteurs géophysiques (tensiomètre et accéléromètre) permettent un suivi au cours de cette manœuvre délicate et d’évaluer le comportement du carottier à postériori.
A la lecture des graphiques associés, l’équipe du quart 20h00 – 00h00 observe une anomalie. Les indices comme la tension exercée sur le câble qui retient le carottier montrent que le carottier ne s’est probablement pas correctement inséré dans le sédiment. La décision est de remonter précocement le carottier.

Courbe de tension obtenue à partir d’un carottage « test » opéré à La Réunion avant le début de mission, logiciel Vgraph (source Y. Kergoat).

Dans notre cas, la courbe de tension obtenue présente une anomalie au niveau de la phase d’enfoncement dans le sédiment (étape 2).
Le carottier arrive en surface à 20h, l’équipe sur le pont constate rapidement que le tube en acier qui accueille la chemise PVC contenant les sédiments est partiellement tordu, autrement dit « flambé » dans le jargon des océanographes-sédimentologues (voir photo ci-contre). Une fois celui-ci remis à bord le long de la coursive tribord, les marins s’occupent d’abord de couper le tronçon endommagé.

Tube du carottier « flambé »…
puis découpage de la partie endommagée !

Malgré tout, les deux tiers (~22 m) de la carotte MD24-3680 semblent avoir pénétrés dans le sédiment. L’équipe carotte peut donc procéder au découpage sur cette partie. La première étape est de retirer l’ogive, c’est-à-dire l’extrémité inférieure perforée du tube qui permet de retenir les sédiments.
Au final, seuls 2 mètres de la carotte seront exploitables pour la description lithologique, car la carotte a été « pistonnée », c’est-à-dire que les sédiments ont été aspirés par dépression sous l’action du piston du carottier.

Reprise de notre route

Carte bathymétrique de la zone d’étude avec la position des premiers profils géophysiques en cours d’acquisition (P09, P10, P11 et P12) et la position de la carotte (MD24-3680) (source Mission SEZAM).

Le navire jusque-là stationnaire peut reprendre sa route, l’équipe géophysique en profite pour affiner les derniers paramètres d’acquisition.
Nous en profitons pour réaliser un profil de calibration du sondeur multifaisceaux, consistant à faire un aller-retour sur un même profil, généralement dans une zone de morphologie plane et constante, qui permet de détecter d’éventuels biais entre les deux passages. Maïwenn, notre hydrographe en charge du contrôle qualité nous confirme sans surprise que tout est normal.

La cohérence des valeurs de sondes le long du profil de calibration dans les deux passages du navire (bleu puis rouge – en haut à gauche) montrent que la calibration est optimale (source Mission SEZAM)

Déploiement de la Sismique Rapide :

La nuit de ce lundi 03 Juin est marquée par la toute première mise à l’eau de la sismique haute résolution employée pour répondre aux objectifs de la mission SEZAM, à savoir la Sismique Rapide.

La sismique Rapide (ou SISRAP)

Faisant parti des dispositifs de sismique réflexion multitraces, la sismique rapide (ou SISRAP) est une méthode géophysique permettant d’imager la géométrie du sous-sol à l’aide des ondes sismiques. Le dispositif est constitué d’une source acoustique (deux canons à air connectés) et d’un récepteur (la « flûte sismique » de 300 m de long, constitué d’une série d’hydrophones) qui acquièrent de la donnée en même temps que le navire avance. A partir de l’onde délivrée par la source en surface, la flûte enregistre le temps d’aller-retour de l’onde, qui se propage à travers la colonne d’eau, puis dans le sous-sol où elle se réfléchit sur les différentes interfaces géologiques du sous-sol avant de remonter vers la surface. L’image qui en ressort est une image en amplitude, qui renseigne de la géométrie des différentes couches géologiques du sous-sol.

Dans la configuration mise en œuvre sur SEZAM, les sources utilisées sont deux « canons GI » à air comprimé. Un compresseur de 300 m3/h, situé à l’arrière du pont du N/O Marion Dufresne, fournit l’air comprimé et permet de tirer avec une pression de 140 bars à une cadence de 10 secondes. Le volume des chambres à air (correspondant à la puissance des canons), est de 105 in3 pour le premier canon et de 45 in3 pour le second, le tout multiplié par deux étant donné que chaque canon possède 2 chambres à air. Cette configuration en double chambre est la raison pour laquelle on parle de canons GI, en effet, une chambre est le Générateur (G) et l’autre l’Injecteur (I).

Le système récepteur mis en œuvre est une flûte de 300 m constituée de 48 traces (la distance inter-trace est de 6,25 m). La profondeur d’immersion du dispositif doit être maintenue à 6 m sous la surface, ce qui permet de réduire l’influence des courants de surface et ainsi percevoir un signal moins bruité.

Ce dispositif a la particularité de pouvoir être tracté à 10 nœuds, alors que, généralement la vitesse d’acquisition est de 5 nœuds pour les autres équipements sismiques. Dans la configuration utilisée pour la campagne SEZAM, la vitesse utilisée est de 8 nœuds. La longueur du dispositif permet de tourner à 10° par minute lors de la giration par exemple entre deux profils.

(1) Le canon GI
(2) La flûte sismique enroulée sur son touret
(3) Le dispositif en action (nous distinguons la « bulle » créée par l’impulsion acoustique des canons dans l’eau).

La fréquence du signal de la SISRAP est de 50 Hz, ce qui correspond au domaine de la sismique dite « haute résolution ». En émettant ces basses fréquences, il est ainsi possible d’atteindre des profondeurs au-delà d’une seconde (> ~ 750 m sous le fond), permettant de mieux caractériser les structures sédimentaires profondes traquées pendant la mission SEZAM, comme le Bassin Intermédiaire au large du système du Zambèze, dont les limites et l’étendue sont encore mal connues (Nouzé and Chaucot, 1990).
A titre de comparaison, ce mode d’acquisition diffère du sondeur de sédiments, lui fixé sous la coque du navire. Contrairement à la sismique rapide, le sondeur de sédiment utilise des très hautes fréquences. La pénétration des ondes qui y sont associées ne permet pas d’imager aussi précisément mais avec une meilleure résolution. Pour une étude complète, il est donc important, quand cela est possible, d’utiliser différents types de sismiques de manière complémentaire.

  • À 00h30, le déploiement des dispositifs sources (2 canons GI) et de la flûte, peut commencer. Cette opération dure généralement ~1 heure. Cela nécessite de ralentir le navire à une vitesse de 3,5 nœuds afin d’éviter d’exercer une traction trop importante et ainsi de détériorer le matériel.
  • La flûte, antenne réceptrice est la première à être mise à l’eau. Depuis la plage arrière, Jean-Claude, Oscar et Laurence, munis de leurs brassières et équipements de sécurité surveillent que la flûte se déroule correctement et commence sa plongée. Enroulée autour d’un touret, la gaine défile progressivement. Afin de tracter ce dispositif à une portée suffisamment éloignée des remous du navire, la flûte « active » est tractée par un tronçon inactif de 90 mètres de long, le câble lead-in.
  • Une fois la mise à l’eau de la flûte finalisée vers 1h du matin, c’est au tour des sources d’être déployées. Les deux canons GI, à l’aide de bras déportés symétriquement sont tractés à l’arrière tribord et bâbord du navire.

Il est 1h30 du matin, l’ensemble des instruments sont à l’eau. L’ordre d’augmenter la vitesse du navire jusqu’à 8 nœuds à la Passerelle peut maintenant être donné pour lancer les premiers tests. Une fois le protocole de montée en puissance des tirs de canons validé comme imposé par le protocole des observateurs de Mammifères marins (voir paragraphe à suivre…), l’acquisition peut commencer. Il est important de préciser que les deux canons à air doivent être synchronisés afin de faire éclater les bulles d’air au même moment pour n’émettre qu’une seule fréquence pour le tir.

Les premiers profils apparaissent petit à petit en PC-scientifique.  Sur les profils sismiques haute résolution SISRAP comme sur les données de sondeur de sédiments très superficielles, on peut déjà y distinguer des choses intéressantes : chenaux, incisions, unités litées, glissements en pieds de pente, etc.

Comparaison entre profil de SISRAP et profil de sondeur de sédiments ; la pénétration du signal basse fréquence est plus importante sur la SISRAP permettant d’’étudier des objets en profondeur. L’image du sondeur de sédiments, plus haute fréquence, est bien plus résolue mais faiblement pénétrative (source Mission SEZAM).

Protocole MMO

Afin d’assurer un contrôle actif et de minimiser l’impact des opérations de sismique sur les mammifères marins, des observateurs, les « MMOs » (Marine Mammals Observers) spécialisés dans le repérage et la reconnaissance des espèces doivent obligatoirement faire partie des personnes embarquées selon la procédure appliquée par l’Ifremer.

Ils s’assurent que lors de la mise en route de la sismique, aucun animal ne soit aperçu dans un rayon de 100 m autour du navire, et que le processus de Ramp-UP, qui consiste à graduer la mise en pression des canons, soit respecté pour éviter de stresser les mammifères marins. Au bout de 20 minutes, le protocole est validé et l’acquisition peut commencer.

Ce sujet a fait l’objet ce lundi 03 Juin d’un nouveau SEZAM’inaire de Saskia FOURIE et Virginie WYSS, les deux MMOs de la mission. Un résumé est disponible ici.