Accueil · Campagne océanographique RESILIENCE 2022 · Retour sur le Leg 2: Quoi & Pourquoi?

Retour sur le Leg 2: Quoi & Pourquoi?


Auteurs: Angèle Nicolas, Luis Chomienne, Sara Sergi, Steven Herbette

Le long du talus continental situé sur la côte Est de l’Afrique du sud, un courant de surface chaud et salé s’écoule vers le sud, le courant des Aiguilles. C’est un courant de bord parmi les plus puissants de la planète, puisque les vitesses y sont supérieures à 1.5 m/s, sur une bande d’environ 1000 kilomètres de large et une épaisseur de quelques centaines de mètres. La présence de ce courant influence fortement les écosystèmes côtiers de la région en générant une variabilité importante des conditions environnementales et dynamiques. La température et la salinité des eaux côtières, mais aussi l’intensité et la direction des courants sur le plateau, varient au gré des incursions du courant des Aiguilles à la côte, des remontées d’eaux profondes engendrées par la friction du courant sur la pente continentale et de la présence de tourbillons cycloniques sur le bord Est du courant. A cette variabilité associée au courant, s’ajoute la dynamique due à la présence d’ondes internes.

Notre objectif pour le leg 2 est de chercher s’il existe un lien entre les phénomènes dynamiques et la nature et l’abondance des espèces marines peuplant ces écosystèmes côtiers. Nous nous focalisons avant tout sur la réponse des premiers maillons de la chaîne trophique, à savoir le phytoplancton et la zooplancton, dont le temps de réponse aux sollicitations dynamiques associées par exemple à un apport de nutriment est supposé suffisamment court pour pouvoir être capté à l’échelle de temps la campagne RESILIENCE.

La région située au sud de Durban (figure ci-dessous) constitue un site privilégié pour l’étude de la formation de tourbillons cycloniques froids piégés entre la côte et le courant des Aiguilles, et pour la génération d’ondes internes. C’est également une zone où de nombreuses aires marines protégées (MPA, de l’anglais Marine Protected Areas) s’égrènent le long de la côte. Pour mieux définir leurs politiques de gestion, les scientifiques doivent avoir une meilleure connaissance de leurs écosystèmes et de la connectivité entre ces différentes aires.


Carte de température de surface des zones étudiées pendant le Leg 2. (c) Image adaptée à partir d’une figure de Steven Herbette

Etude des ondes internes

Pour étudier la présence d’ondes internes et mieux comprendre comment ces ondes pourraient influencer les courants et la stratification des eaux côtières dans la région, deux appareils ont été mouillés pendant toute la durée du leg 2 (14 jours), juste au sud de Durban, par 60 mètres de fond. Le Wire-Walker (voir son CV pour plus d’informations) est un appareil équipé de capteurs de température, salinité et pression. Il utilise l’énergie mécanique des vagues pour monter et descendre le long d’un câble vertical auquel il est fixé, effectuant ainsi en continu des profils verticaux de température et de salinité à raison d’un cycle toutes les 10 minutes environ. Juste à ces côtés, un courantomètre acoustique doppler a également été mouillé pour mesurer les profils verticaux de courants. L’analyse des séries temporelles de courant, température et salinité, réalisées avec un échantillonnage à haute fréquence, permettront de mieux cerner la dynamique des ondes internes dans la région, et d’appréhender leur mécanisme de génération. A la latitude de Durban (30°S), il y a une résonance entre la fréquence du forçage diurne (la brise marine) et la fréquence inertielle. Des études récentes, à la même latitude sur la côte Ouest de l’Afrique du Sud ont montré que cette résonance entraînait une amplification des courants associées aux ondes inertielles. En raison de la présence de la côte, il en résultait une génération d’ondes internes. Les soubresauts de la thermocline et le cisaillement vertical des courants associés à ces ondes favorisait le mélange vertical et par conséquent la production de phytoplancton en enrichissant en nutriments les couches de surface éclairées par la lumière. La figure ci-dessous représente la série temporelle brute obtenue grâce au wire-walker : on y remarque la forte variabilité des masses d’eaux dans le temps, et la haute fréquence de cette variabilité.

Aperçu des données obtenues à partir du mouillage Wire-walker. (c) Image adaptée à partir des figures de Staven Herbette.

Etude d’un tourbillon cyclonique de sous-mesoéchelle : le tourbillon de Durban

Dans le cadre respectif de leur master et doctorat, Nasreen et Gustav étudient la dynamique de ce tourbillon et nous ont permis d’en apprendre davantage sur celui-ci pendant leur séminaire à bord du Marion. Ces tourbillons naissent régulièrement au sud de Durban. Ils peuvent rester piégés sur place jusqu’à leur dissipation ou bien croître jusqu’à atteindre une taille critique de quelques dizaines de kilomètres pour ensuite se détacher de la région et être emportés vers le sud sur plusieurs dizaines de kilomètres. De forme elliptique, ils sont à l’origine d’un intense contre-courant côtier dirigé vers le nord et caractérisé par des vitesses de l’ordre de 1m/s. Sur les flancs nord et sud de ce tourbillon, les vitesses induites sont cross-shore et responsables d’importants échanges entre les eaux côtières, froides et riches en nutriments, et les eaux chaudes, salées et appauvries en nutriments du Courant des Aguilles (on parle de milieu oligotrophe, du grec oligo « peu », et trophein « nourrir »). En se déplaçant vers le sud, les tourbillons pourraient transporter avec eux nutriments et organismes vivants, et connecter ainsi les différentes aires marine protégées de la région. On s’attend également à ce que ces tourbillons créent localement des remontées d’eaux profondes sur ces flancs, qui pourrait avoir une influence sur la production primaire.

A notre arrivée sur les lieux, le gros tourbillon en place depuis plusieurs semaines s’était détaché et était parti plus au sud. Après avoir passé 2 jours à échantillonner la région où s’était formé le tourbillon, en espérant éventuellement qu’un nouveau tourbillon se forme, nous avons décidé de « rattraper » plus au sud, le tourbillon de Durban déjà formé (zone d’étude numéro 2 dans la MPA de Pondoland -Figure 1). Une des grandes difficultés de la campagne était de réussir à suivre et échantillonner un tourbillon qui se déplaçait, parcourant parfois plus 20 km en une journée. Une fois le tourbillon repéré, 4 bouées dérivantes ont également été mises à l’eau dans le tourbillon en espérant qu’elles y restent piégées. Les scientifiques recevaient les positions de ces bouées toutes les heures, ce qui a permis d’adapter en temps réel la stratégie d’échantillonnage et la position du navire. Ces bouées mesuraient également la température, permettant de suivre l’évolution des propriétés de la masse d’eau piégée dans le tourbillon. La stratégie d’échantillonnage mise en place a consisté à effectuer des radiales en « radiateur » très rapprochées sur le tourbillon afin d’obtenir une mappature à haute résolution de ses propriétés. En effet, le long de la trajectoire du Marion Dufresne de nombreux instruments effectuent des mesures en quasi-continu (voir les lignes de couleur montrant le passage du Marion sur les cartes ci-dessous). L’ADCP (Acoustic Doppler Current Profiler) de coque, émettant à 150kHz, permet de mesurer les vitesses sur les 150 premiers mètres de la colonne d’eau. En effectuant des radiales, les physiciens obtiennent un mapping des vitesses horizontales et peuvent ainsi reconstruire l‘écoulement synoptique. De plus, le MVP (Mobile Vessel Profiler), tracté à l’arrière du bateau (son CV est aussi publié sur ce site), effectue toutes les 6 minutes environ un profil vertical de température te salinité et fluorescence jusqu’à 300 m de profondeur. Sous certaines hypothèses, il est ensuite possible de déduire indirectement les vitesses verticales à partir des gradients spatiaux de densité. Ces vitesses verticales, de l’ordre du mm/s, sont bien trop faibles pour être mesurées directement.

Continuez votre navigation

Retour à la page d’accueil